Plus personne n'y croyait...et à vrai dire, moi non plus. J'avais pratiquement laissé tomber l'idée de continuer cette histoire un jour. Pourtant, de fils en aiguille, en retravaillant par hasard certains aspects du texte, en rajoutant des lignes, en en supprimant d'autres tout en gardant en tête tous les conseils/encouragements/reproches laissés sur le sujet de l'ancien forum, une nouvelle version de Fils des Ténèbres a vu le jour. Et cette version-là, j'ai bien l'intention d'en voir un jour le bout.
J'espère seulement que ceux qui connaissent déjà l'histoire aimeront cette nouvelle mouture. Et que ceux qui la découvrent l'apprécieront aussi.
Fils des ténèbres
Chapitre 1 : Le second fils de la Maison Rilynt’tarDans les couloirs du complexe de la Maison Rilynt’tar, la vingtième de la ville souterraine de Menzoberranzan, des prêtresses elfes noires s’agitaient, donnant une multitude d’ordre aux esclaves gobelins qui traînaient par-ci par-là, leur promettant milles et une tortures toutes plus exquises les unes que les autres si quelque chose ou quelqu’un venait déranger l’événement qui se préparait. Aujourd’hui était un grand jour : Matrone Erelda allait bientôt mettre au monde son sixième enfant ! Unique ombre au tableau : le nouveau-né serait un pitoyable mâle, alors que les prêtresses avaient passé de nombreuses heures à supplier Lolth, la terrible Reine Araignée, de leur donner une nouvelle fille. A coup sûr, elles auraient dû sacrifier plus de mâles mais Tathlyn, l’époux actuel d’Erelda, avait convaincu la Matrone non sans mal que la venue au monde du bambin n’était pas une raison pour arracher le cœur de la moitié des quelques cinq cents soldats qui composaient les troupes armées du clan. De plus, de l’avis du mâle, une autre fille aurait surtout causé des problèmes : les quatre filles de la Mère Matrone avait déjà assez à faire à se surveiller les unes et les autres sans qu’une nouvelle venue entre dans le jeu et vienne fausser la donne. Elles se suffisaient amplement.
Dans la chapelle plongée dans l’obscurité la plus totale, la vénérable Matrone Erelda vivait les dernières heures de sa grossesse. A ses côtés se trouvaient ses filles, occupées à calmer la douleur causée par l’enfantement : Jyslin, Talabrina, Rauva et Olorae, l’aînée.
En dépit des hurlements de douleurs de leur mère, elles ne s’inquiétaient pas outre mesure : à cinq cent trente ans, c’était la sixième fois qu’Erelda mettait au monde un enfant. Les deux premières fois, elle avait eu des filles, puis elle avait ensuite donné le monde à un garçon, avant d’accoucher de deux nouvelles filles. Après, elle n’avait plus espéré retomber enceinte. Cet enfant-là était une heureuse surprise.
Erelda était très belle, même selon les standards Drow. Petite et mince, elle cachait pourtant une force bien réelle et il ne fallait en aucun cas la sous-estimer. Olorae, Rauva, Talabrina et Jyslin étaient à l’image de leur mère : des beautés fatales.
- Quand l’enfant doit-il naître ? demanda Talabrina à Olorae.
Sa soeur ne lui accorda même pas un regard, trop occupée à soulager sa mère des douleurs dues aux contractions.
- Le travail touche bientôt à sa fin.
- Combien ? voulu savoir la jeune Drow en essuyant son front luisant de sueur.
- Une heure maximum, diagnostiqua Rauva, la plus jeune du lot, qui venait juste d’être nommer prêtresse de Lolth. Peut-être même moins.
- Ce sera un garçon, grommela Jyslin sans cacher sa déception. J’espérais tellement que ce serait une fille : une nouvelle prêtresse aurait bien été plus utile à notre Maison qu’un nouveau mage.
Olorae foudroya ses sœurs du regard.
- Qui a dit que ce serait un mage ? Le second fils sera un guerrier, assura-t-elle.
Talabrina ne cacha pas son scepticisme :
- Comment peux-tu en être sûre ? s’enquit-elle d’un ton dégoulinant de sarcasmes. Serais-tu donc prophétesse, ô grande Olorae ?
Jyslin et Rauva regardèrent leur sœur sans y croire : c’était la première fois que quelqu’un osait ainsi répondre à la fille aînée, mise à part leur tante Faeryl qui remplissait la fonction de maître d’armes.
- Certes pas, admit cette dernière, mais je connais assez notre frère Rizzen pour savoir qu’il ne tolérera jamais que l’enfant puisse être aussi son concurrent dans le domaine de la magie. Et puis, Faeryl a toujours dit que si un autre mâle naissait de son vivant, elle le formerait pour en faire son successeur au poste de maître d’armes. Le second fils sera un guerrier, répéta-t-elle avec un sourire triomphant.
Les autres filles ne trouvèrent rien à redire à la logique de leur sœur. Aussi retournèrent-elle à leur travail dans le silence le plus complet, que venaient seulement briser les gémissements et les cris de douleur de la Matrone.
Soudain, Erelda poussa un cri plus perçant que les autres. Aussitôt, les sœurs se groupèrent autour de leur mère pour l’aider à mettre leur nouveau frère au monde.
Ses yeux rouge sombre fixés sur ses quatre sœurs, le bébé se mit à vagir, ses petits poings serrés.
Olorae, qui l’avait accueillit dans ses mains, le nettoya et le déposa dans les bras tendus de leur mère. Erelda examina le nouveau-né.
L’enfant était en bonne santé et très vigoureux. Une bonne chose. Plus tard, la Matrone passerait de longues heures à prier Lolth pour la remercier de lui avoir donné un aussi beau bébé.
Penchées par-dessus l’épaule maternelle, les trois autres filles scrutaient elles aussi leur petit frère.
- C’est bien un mâle, lâcha Talabrina, méprisante, comme le bébé continuait à hurler à pleins poumons. Quel nom lui as-tu choisi, Mère Matrone ?
- Il s’appellera Lesaonar. C’était le nom d’un des meilleurs guerriers à avoir vécu à Menzoberranzan.
- Lesaonar Rilynt’tar ? répéta Rauva. Ca sonne bien. Et toi, qu’en penses-tu, petit être ? demanda-t-elle à l’enfant qui avait finalement arrêté de pleurer.
Un gazouillement ravi lui répondit.
- Merveilleux, il est d’accord, maugréa Jyslin.
Excédée, sa sœur lui flanqua une tape sur l’arrière du crâne. Jyslin voulu riposter mais leur mère se racla bruyamment la gorge comme pour leur indiquer de se calmer.
Lorsqu’elle fut certaine que ses deux filles avaient cessé leurs gamineries – indignes de la part de deux prêtresses de Lolth – Erelda se tourna vers Rauva :
- Il faut appeler les mâles, afin qu’ils fassent la connaissance du deuxième fils ! Vas les faire chercher ! ordonna-t-elle.
- Oui, Mère Matrone.
La jeune Drow se précipita vers la porte et tira énergiquement sur une cordelette reliée à une cloche. Dès la première sonnerie, un esclave gobelin se présenta, désireux de plaire à l’une de ses maîtresses.
- Vas chercher tes maîtres, mon cher Goubiouch, demanda-t-elle d’une voix doucereuse. Dis-leur que Matrone Erelda requiert leur présence dans la grande chapelle. Et ne reviens pas sans eux, à moins de vouloir goûter à nouveau à mon fouet !
Le gobelin fila sans demander son reste.
Satisfaite, Rauva rejoignit sa mère et ses sœurs. Elle ne doutait pas que Goubiouch remplirait scrupuleusement sa mission.
Moins de dix minutes plus tard, quelqu’un frappa à la porte de la grande chapelle. Celle-ci s’ouvrit sans un bruit, laissant apparaître les trois mâles de la Maison : Tathlyn, l’époux actuel de la Matrone, Chaszmyr, le magicien en chef et Rizzen, le premier fils.
Ils s’avancèrent et s’inclinèrent respectueusement devant la Matrone.
- Où est Goubiouch ? s’enquit Rauva, notant l’absence du gobelin.
- Il est mort, répondit simplement Chaszmyr.
La jeune drow ne s’y trompa pas et poussa un soupir : Chaszmyr était connu pour sa cruauté et son aptitude au mal. A coup sûr, la faute du gobelin avait été des plus mineurs, et une vingtaine de coups de fouet auraient été une punition largement suffisante. Mais ç’aurait été mal connaître le sorcier, dont les connaissances en matières de mises à mort aurait fait pâlir d’envie plus d’une Mère Matrone.
Car Chaszmyr avait derrière lui plus de huit siècles de pratique.
Son apparence ne laissait en rien supposer son véritable âge. Grâce à sa puissante magie, il gardait l’apparence d’un elfe jeune et vigoureux ; sa peau couleur ébène conservait toute sa douceur satinée et ses doigts effilés gardaient leur souplesse. Mais ses véritables armes était l’intelligence et la perspicacité qui lui avait permis de devenir l’un des grands maîtres de Sorcere et l’un des plus inestimables atouts de la Maison Rilynt’tar.
- Et quand est-il du cadavre ? demanda Erelda, qui était toujours aussi impressionnée – et enchantée – par la cruauté du mage.
Il était son amant à l’occasion et il lui avait déjà donné trois enfants : Olorae, Talabrina et Rizzen, qui avait hérité des pouvoirs magiques et du caractère de Chaszmyr.
- Il reste un peu de cendres devant le pas de ma porte, mais je dirais aux esclaves d’aller nettoyer tout ça, répondit le magicien en se fendant d’une courbette.
A côté de lui, Tathlyn se dandinait nerveusement d’un pied sur l’autre ; il se sentait toujours ridicule en présence du sorcier, dont la beauté et la puissance l’éclipsait systématiquement.
- Tout va bien, Matrone ? demanda-t-il humblement.
Si Erelda venait à mourir, Olorae prendrait la tête du clan. Tathlyn avait donc tout intérêt à ce que l’actuelle Matrone reste en vie et en bonne santé.
- Oui, mais pas grâce à toi ! hurla Matrone Erelda. Et cesse de me regarder avec cet air inquiet, il te fait sembler encore plus pitoyable que d’habitude !
Le mâle baissa précipitamment la tête et bégaya une excuse. A côté de lui, Chaszmyr et Rizzen se mirent à ricaner sous cape mais se turent lorsque Erelda se redressa sur sa couche et leur présenta à tout trois le nouveau-né, dont les petites pupilles allaient et venaient, curieuses de tout.
- Voici Lesaonar, second fils de la Maison Rilynt’tar, annonça-t-elle avec un air de profonde satisfaction.
Chaszmyr et Tathlyn furent enchantés de constater que le bébé était robuste et vigoureux ; Rizzen fronça les sourcils, désapprobateur : lui n’avait jamais souhaité un nouveau mâle dans la famille, synonyme de rival. A partir de maintenant, il serait obligé de constamment surveiller ses avants et ses arrières.
La Matrone se tourna vers Rauva.
- Le bébé est tien, prépare-le, ordonna-t-elle.
- Mais…je…je suis une grande prêtresse, bafouilla la jeune femme. Cette tache est indigne de moi !
- Certes, mais tu es la plus jeune de mes filles, lui rappela sa mère en plissant dangereusement les yeux. Et contrairement à tes sœurs, tu ne fais pas partie des prêtresses-maîtresses d’Arach-Tinilith.
« L’enfant est tien, répéta-t-elle. Ne me déçois pas ! Considère ceci comme un complément à ta formation de prêtresse.
Rauva soupira mais garda ses pensées pour elle. Il lui faudrait au moins dix ans pour préparer Lesaonar à devenir un page de la maison Rilynt’tar. Mais mieux valait cela que s’attirer les foudres de Matrone Erelda.